Au contraire de la maltraitance physique qui est visible et bien identifiée par les professionnels de la petite enfance, la maltraitance émotionnelle, invisible, est relativement méconnue. Pourtant, son impact sur l’enfant est bien réel et désormais documenté par la recherche.
Des exemples de maltraitances émotionnellesSont qualifiées de maltraitances « émotionnelles » l’ensemble des violences psychologiques et verbales qui viennent induire inutilement une émotion de peur ou de honte chez l’enfant.
Exemples :• Crier sur l’enfant, élever la voix
• Le menacer (si tu continues à mordre, je vais en parler à tes parents ce soir, je te préviens)
• L’humilier, le ridiculiser (Livio, arrête de cracher partout, c’est dégoûtant ! Puisque que tu te comportes comme un bébé, je vais te ramener chez les bébés)
• Le punir (comme tu n’arrives pas à rester calme, tu quittes la table et tu restes tout seul sur le tapis)
• Le mépriser, lui dire qu’il est un enfant « méchant », « nul », « vilain », « capricieux », « comédien »
• Accuser systématique le même enfant quand il y a un conflit
• Se moquer de lui (par exemple, se moquer de ses pleurs)
• Lui couper la parole
La maltraitance émotionnelle regroupe également l’ensemble des comportements de l’adulte qui ne répondent pas aux besoins fondamentaux de proximité physique, d’affection, de réassurance, de mouvement, d’exploration du jeune enfant.
Exemples :• Laisser pleurer l’enfant tout seul alors que nous serions en mesure de le prendre dans les bras
• Le priver de sa tétine ou de son doudou parce que son comportement n’a pas été en adéquation avec les attentes de l’adulte
• Ne pas le rassurer quand il en manifeste le besoin
L’institution elle-même peut induire un nombre non négligeable de maltraitances émotionnelles, malgré la bonne volonté des professionnels qui y exercent. Cette violence dite « institutionnelle » peut se définir comme une maltraitance diffuse, non volontaire, causée par le dysfonctionnement de l’institution elle-même. C’est Stanislas Tomkiewicz, psychiatre et chercheur, qui a proposé ce concept dans les années 1980.
Exemples :• Accueillir un nombre trop important d’enfants au sein d’un même espace, ce qui vient générer un stress individuel et collectif important
• Ne pas permettre à un professionnel d’être au sol sur le temps du repas pour s’occuper des enfants qui ne mangent pas et qui sont susceptibles de pleurer seuls
• Contraindre les enfants affamés à patienter derrière une barrière tandis qu’un groupe d’enfants est en train de manger sous leurs yeux
• Ne pas prévoir un nombre suffisant d’adultes pour accueillir les enfants
• Instaurer un cadre, composé de limites et d’interdits, qui va à l’encontre de leurs besoins fondamentaux (par exemple : ne jamais leur permettre de crier, de grimper, de courir, d’aller dehors, etc.)
Quel est leur impact sur le cerveau de l’enfant ?
Depuis une dizaine d’années, les recherches en neurosciences affectives et sociales permettent d’identifier, avec une précision grandissante, l’impact de ces maltraitances émotionnelles. Nous savons désormais que celles-ci peuvent avoir des conséquences sur le développement du cerveau affectif de l’enfant et notamment sur la maturation de leur Cortex-Orbito Frontal (COF).
Le COF est une petite région-clé polyvalente qui favorise l’épanouissement de l’individu en société. C’est elle qui nous permet de réguler nos émotions, d’apaiser nos réactions vives, d’être en empathie, de développer notre sens moral, d’anticiper, etc.
En 2012, Allan Schore, médecin et chercheur en sciences biocomportementales, souligne que le COF d’un enfant mature davantage lorsque son
entourage est chaleureux et empathique. Au contraire, lorsque ce dernier se montre maltraitant, la maturation du COF est freinée. En 2010, Martin H. Teicher, chercheur et directeur du Programme de Recherche en biopsychiatrie développementale, a montré que
les humiliations verbales infligées à l’enfant étaient susceptibles d’altérer des régions-clés du cortex préfrontal de l’enfant et d’engendrer des troubles psychiatriques, des troubles dissociatifs, de l’identité et de la personnalité. En 2013, Rebecca Waller, chercheuse en psychologie du développement à l’université d’Oxford, a synthétisé les données de 30 études portant sur les éducations strictes et sévères, reposant sur la discipline et la punition. Il a été constaté que ce type d’éducation produisait sur l’enfant l’effet inverse que celui escompté : une fois adolescents,
ces enfants éduqués « à la dure » tendent à devenir insensibles, agressifs, durs, sans empathie. A fortes doses, les maltraitances émotionnelles peuvent même induire des pathologies d’ordre comportemental et psychiatrique telles que
l’anxiété, la dépression, l’agressivité, etc.
Bien entendu, aucun enfant ne peut être préservé à 100% des maltraitances émotionnelles. Tout adulte qui est en contact avec les jeunes enfants a perdu un jour ou l’autre sans sang-froid et a, un jour ou l’autre, crié, laissé pleurer ou critiqué un enfant. Les adultes sont confrontés, au même titre que les enfants, à la difficulté parfois de gérer leurs propres émotions.
En ce qui concerne l’impact de ces maltraitances émotionnelles, tout est une question de dosage. Nous savons que plus ces maltraitances sont intenses et/ou répétées, plus l’impact sera probablement important sur la vie de ces adultes de demain.
Bien que
l’enfant ne se souvienne pas de sa petite enfance, son cerveau, quant à lui, en conserve des traces profondes positives comme négatives. La responsabilité des acteurs de la petite enfance est donc considérable.
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