Secrets, mensonges... Le non-dit peut faire des ravages au sein d'une famille. Le dialogue entre parents et enfants est
primordial pour lever les tabous et mieux comprendre son histoire.
Il y a quelques décennies, nombre de comportements risquaient de mettre une famille au ban de la société : collaboration avec l’ennemi lors de la dernière guerre, enfants naturels, adultérins, de premiers mariages, etc.
Les adultes tentaient de dissimuler ces faits "honteux" pour protéger leur image et, pensaient-ils, la vie de leur enfant. Ces mensonges, proférés souvent dans de bonnes intentions, ont eu parfois des conséquences catastrophiques.
Des faits difficiles à révéler"Cela fait 56 ans que je cherche la vérité sur mon père, confie Colette. Un vrai calvaire. Ni ma mère, qui a divorcé lorsque j’avais 2 ans, ni ma grand-mère n’ont rien voulu me dire. L’année dernière, j’ai retrouvé la trace de celui qui m’a donné son nom… sur une pierre tombale. C’est trop tard. Je n’ai même pas une photo."
À notre époque, bien des tabous ont été levés. Certains faits demeurent cependant difficiles à révéler : suicide, divorce, maladie mentale, sida, toxicomanie…
L’enfant n’est pas dupeFace à une nouvelle douloureuse, la tentation reste grande de tenir les enfants à l’écart, parce que notre souffrance est trop vive et qu’on souhaiterait les épargner.
"Mon père m’a abandonnée à la naissance. Je n’ai jamais compté pour lui et j’ai dit à mes enfants qu’il était mort pour qu’ils ne souffrent pas, comme moi, de son manque d’amour, reconnaît Brigitte. Pourtant, ma fille a compris que ce n’était pas vrai."
Si un secret
peut empêcher un enfant de se construire sereinement, c’est bien parce qu’
il devine qu’on lui cache quelque chose. Cette forme de compréhension est spontanée.
"Étymologiquement, le mot secret vient de “sécréter”, rappelle la psychologue Martine Lani-Bayle. C’est parce qu’il suinte, qu’il transpire, que le silence fait des vagues."
L'imagination comble le manqueL’enfant risque alors de combler les "trous" avec son imagination : inventant des peurs encore plus terrifiantes que la réalité, ou se pensant responsable de la souffrance de ses parents. Parfois, l’omerta attise sa curiosité et lui donne envie de fouiller, ce qui peut même aller jusqu’à l’obsession.
Cependant, l’enfant privé de mots peut aussi somatiser, comme le jeune Bastien, vu en consultation par Harry Ifergan (coauteur, avec Rica Étienne, de "Mais qu’est-ce qu’il a dans la tête ? Comprendre l’enfant de 0 à 7 ans" et de "Mais qu’est-ce qu’ils ont dans la tête ? 6-12 ans, l’âge incertain" aux éditions Poche J’ai Lu).
"Sa maman, enceinte, avait dû subir une interruption de grossesse, explique le psychologue. Partie le ventre déjà rond, elle était revenue le ventre plat, sans aucun commentaire. Quelques mois plus tard, Bastien a commencé à souffrir de constipation opiniâtre, nécessitant des consultations répétées à l’hôpital. Avec son gros ventre, Bastien exhibait le bébé volatilisé de sa mère : quand le pot aux roses a été découvert, ses symptômes ont disparu."
Une confiance qui s'estompeL’enfant ressent notre émoi. Si on le nie, il peut perdre confiance en lui-même. À moins qu’il ne réalise que ses parents lui mentent.
"C’est terrible, un enfant qui perd confiance dans les adultes, s’exclame Martine Lani-Bayle. D’autant que, si la soif de savoir de l’enfant est réduite au silence, si on lui fait comprendre que les mots sont dangereux, plus que la vie, cela peut contaminer tout son rapport à la connaissance. Je l’ai constaté à de nombreuses reprises dans ma pratique : comment cultiver sa curiosité du monde si, très tôt, les savoirs sont interdits ou connotés danger ?"
C’est ainsi que les processus déclenchés par un secret peuvent se révéler bien plus néfastes que la vérité.
Des mensonges dommageablesMême un mensonge a priori anodin peut s’avérer dommageable, "lorsqu’il représente une prise de pouvoir abusive", souligne Martine Lani-Bayle.
Florence a découvert à 18 ans que sa maman avait dissimulé son âge réel : "Par hasard, en cherchant de la monnaie dans son sac, j’ai voulu regarder la photo sur sa carte d’identité et vu sa date de naissance : elle s’était rajeunie de dix ans ! J’ai eu vraiment un choc : l’impression qu’elle allait mourir dix ans plus tôt. De la rancœur aussi, en pensant à toutes ces bougies soigneusement comptées sur ses gâteaux d’anniversaire !"
Ne pas masquer la vérité aux enfantsC’est pourquoi les psychologues conseillent de ne pas masquer à un enfant tout ce qui concerne les événements essentiels : naissance, mort, maladie, chômage ou séparation. Et d’en parler le plus tôt possible : plus on attend, plus il devient difficile de lui expliquer qu’on lui a caché quelque chose d’important.
En matière d’adoption ou de procréation médicalement assistée, par exemple, on constate que lorsque l’enfant connaît son histoire depuis son plus jeune âge, il en est moins affecté par la suite.
"Pas besoin d’entrer dans les détails, précise Harry Ifergan. Des mots simples suffisent, comme : “Tu l’as peut-être deviné, papa et moi ne nous entendons plus et allons nous séparer. Au début, ce sera difficile pour tout le monde, mais nous pensons que mieux vaut être heureux séparément que malheureux ensemble.” Les enfants sont capables d’assumer une grave nouvelle lorsqu’elle leur est annoncée avec tact et que l’on veille à les consoler."
Gare à l'excès inverseMais attention, les non-dits ayant causé bien des souffrances, notre société a aujourd’hui tendance à exagérer dans l’autre sens, en prônant la transparence obligatoire, sans aucune retenue.
Ce qui n’est pas mieux : l’enfant doit recevoir les informations qui le concernent, mais il n’a
pas à être mêlé à notre vie intime, tout comme il a droit à son jardin secret. Une part d’ombre n’est nuisible que lorsqu’elle nous angoisse.
Si nous sommes convaincus du bien-fondé de notre décision et continuons à nous montrer authentiques avec lui, il est souvent plus sage de ne pas charger l’enfant précocement avec notre passé trop lourd (drogue, prison, relations incestueuses, etc.), de ne pas lui faire partager dans le détail nos difficultés au travail, nos inquiétudes concernant notre santé, et encore moins les liaisons extraconjugales de son père. Le vieil adage "toute vérité n’est pas bonne à dire" ne doit pas être trop vite relégué aux oubliettes.
De même, la levée d’un secret de famille doit s’entourer de prudence. Si elle est souvent libératoire pour tout le monde, il convient, avant de faire des confidences, de tenter de comprendre les enjeux en cause et de s’interroger sur nos motivations. Parler, oui, mais avec délicatesse.
L’avis de Martine Lani-Bayle, psychologueIl arrive qu’un événement du passé qui nous a été dissimulé handicape notre progression dans la vie. Cependant, en cas de problème, nous avons parfois trop tendance à fouiller le passé en cherchant des boucs émissaires responsables de nos malheurs actuels.
Personne
n’est obligé de se sentir victime passive de ce qui s’est produit avant lui, su ou pas. Connaître d’où nous venons est parfois indispensable pour aller de l’avant, mais ne nous dit en rien où nous allons. Ce qui importe, c’est ce que chacun peut et veut en faire.
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© Fabienne BONALY
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Mots clés : mettre,mots,non-dit
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