Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (24 janvier 1732 – 18 mai 1799), professeur de harpe des filles de Louis XV, reconnu pour son œuvre dramatique, ses talents de journaliste et la fondation de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) était un Don Juan impénitent. En 1787, le célèbre libertin est approché par une certaine Amélie, de dix-sept ans sa cadette, qui lui propose un rendez-vous. Une liaison torride et une correspondance passionnée commencent alors.
En pleine naissance de leur liaison, un mardi matin de l’année 1788, à l’âge de 56 ans, Pierre envoie à Amélie cette lettre d’amour où les corps sont les jouets de leur infinie passion.Vous êtes sans mentir une mignonne maîtresse, une charmante créature de m’avoir envoyé ma douce volupté du matin, je ne l’espérais pas, nous étant vus hier au soir. Après nos débats, nos plaisirs, votre lettre est un bienfait que mon âme n’oubliera pas.
Je ne t’ai point rendu mon cœur, femme adorée ! Était-il à moi pour le rendre ? La douleur de sécher d’amour auprès d’une femme à la glace (( sic )) allait sans doute m’éloigner de toi. Je pouvais bien cesser de te dire je t’aime, mais non pas cesser de t’aimer. Tout est oublié, réparé. Règne par l’amour et ne détruis pas ton empire, règne par la volupté, tu es céleste dans le bonheur. Tu pleurais lorsque ton âme dans tes yeux enchanteurs renaissait, expirait, me disait « je t’adore » ! Ô spectacle délicieux ! Mélange exquis de la sensibilité de l’âme, de la sensualité du cœur, vous êtes l’état le plus désirable où une créature humaine puisse entrer ! Ah ! le bonheur que tu donnes, que tu sens est d’une nature divine. Faisons-nous sur la terre un bonheur qui ne soit qu’à nous, composons-le de tous les bonheurs épars et dispersés, rassemblons-les dans notre sanctuaire d’amour, donnons à cette union sacrée toute la valeur dont nous sommes capables. Penses-tu n’être qu’une femme pour moi ? Ta beauté, ta forme, ton sexe sont les intermédiaires entre ta belle âme et la mienne.
Nos corps, doux instruments de nos jouissances, n’auraient que des plaisirs communs sans cet amour divin qui les rend sublimes. Crois ton amant, céleste amie, quand on a le bonheur d’aimer, tout le reste est vil sur la terre. C’est cet état privilégié dans lequel j’étais désolé de n’avoir pas pu t’entraîner, tu résistais, tu résonnais, au lieu de ranimer le feu sacré, tu le laissais éteindre ! Inventons au contraire mille moyens de multiplier son éclat. Méprise les cris de tout ce qui t’environne, femme étonnante, plane sur la tête de tes compagnes et vivons ensemble dans une région de feu. Tu veux mon cœur ? il est à toi pour la vie entière, que le tien soit ma récompense. Ne regrette plus tes vingt ans, tu vaux mieux que tu ne valais lorsque tu te croyais parfaite. Ta figure est toujours angélique, ton corps fait à plaisir et ton âme bien instruite, et dans sa noble maturité, la belle femme de trente ans sensible et spirituelle est le chef-d’œuvre de la nature. La jeunesse bouillante aime fort, mais n’aime pas bien, les délicieux détails d’une union amoureuse lui sont inconnus. C’est lorsque l’âme est réfléchie, qu’elle a senti mille fois combien la félicité humaine est fragile, combien il est facile de la voir échapper, qu’elle fait alors son unique étude de bien conserver ce bonheur qu’on acquiert si difficilement.
Recueille-toi, femme pensante, sur ce texte ébauché que mon cœur te présente. Livre-toi sans réserve à l’amour qui te tend les bras, c’est cet océan de bonheur inconnu aux mortels ordinaires qu’il faut te jeter les yeux fermés, ton amant est là pour te retenir. Bonjour délices de mon cœur, âme que je révère, traits charmants que j’idolâtre. Je ne te quitte pas, tu me suis partout, fantôme adoré, tu es sans cesse devant mes yeux.
© Marianne NYS
reproduction intégrale interdite, tout extrait doit citer mon site www.theraneo.com/nys
Mots clés : lettre
Autres articles de cette rubrique | voir tous