Longtemps considérée comme une phobie de grossir, l’anorexie mentale serait plutôt une addiction au plaisir de maigrir. Elle relèverait donc du registre des addictions selon une étude franco-allemande publiée ce mardi. Une hypothèse qui ouvre la voie à de nouvelles pistes de traitements.
L’anorexie mentale est un trouble du comportement alimentaire particulièrement dévastateur. Cette maladie à composante génétique, qui touche 0,5% de la population générale, prédomine chez les filles (9 filles pour un garçon) principalement entre 13 et 25 ans. « Un tiers des patients en meurent, soit en se suicidant, soit directement en raison de la sous-nutrition. C’est la plus meurtrière des maladies mentales » souligne le professeur Philip Gorwood, chef de clinique des maladies mentales et de l’encéphale à l’Hôpital Sainte Anne à Paris, qui a conduit l’étude proposant une nouvelle vision de la pathologie, parue dans la revue scientifique Translational Psychiatry.
Toute piste nouvelle soulève un espoirDepuis qu’elle a été identifiée à la fin du XIX e siècle, l’anorexie mentale s’est peu à peu installée dans les pays développés – au Burkina Fasso, le taux de prévalence est de zéro - sans que l’on parvienne à en comprendre réellement les causes ni à mettre au point un traitement efficace. Toute piste nouvelle soulève donc un espoir. Pour l’instant, le diagnostic de ce trouble du comportement alimentaire repose sur trois critères définis dans le manuel de l'Association Américaine de Psychiatrie (le DSM-5) : une restriction alimentaire intense menant à la perte de poids, une perception déformée du poids et du corps, et enfin une peur intense – une phobie- de grossir. Mais des études récentes en imagerie cérébrale ont commencé à effriter ce dernier critère. Elles ont montré que les personnes atteintes d’anorexie réagissaient en activant le circuit cérébral de la récompense lorsqu’on leur montre des images de personnes très maigres alors qu’elles n’activaient pas le circuit cérébral de la peur lorsqu’elles regardent des images de personnes en surpoids. Ce qui indique un comportement plus addictif que phobique.
Reprenant le même protocole, l’équipe du professeur Gorwoord montre cette fois que les personnes anorexiques réagissent physiologiquement à la vision d’images corporelles de maigreur, par une augmentation rapide et automatique de leur sudation, alors qu’elles sont indifférentes à des images de surpoids. En comparant les réactions de 71 patientes, dont la moitié était hospitalisée, à celles de 20 femmes en bonne santé, l’étude montre également que seules les patientes réagissent ainsi à la maigreur.
Enfin, les chercheurs ont trouvé une association entre l’augmentation de la transpiration chez les patientes face aux images de maigreur corporelle et la présence d’une version (l’allèle Met) d’un gène souvent associé à l’anorexie mentale. Ce gène commande la fabrication du BDNF facteur impliqué dans la survie des neurones. « Cette étude représente déjà une avancée sur le plan du diagnostic, car elle ne se fonde pas uniquement sur la verbalisation de la souffrance des patientes pour caractériser la maladie : au contraire, elle étudie une combinaison entre des signes physiologiques objectifs –ici la mesure de la sudation- et un facteur génétique. Or nous sommes à la recherche de tels marqueurs objectifs de la maladie pour pouvoir à l’avenir personnaliser les traitements. » commente Laurent Holzer médecin chef au CHUV( Centre hospitalier universitaire vaudois ) à Lausanne et répondant au centre vaudois d’anorexie boulimie ABC.
Mais deuxième avancée importante, l’étude conforte l’idée de remplacer le troisième critère du DSM 5 -la peur de grossir- par celui d’une addiction au plaisir de maigrir. « La très forte probabilité que l'anorexie relève du registre des addictions ouvre la voie à de nouvelles approches thérapeutiques, utilisées pour traiter d’autres troubles jusqu’à présent. Par exemple la remédiation cognitive qui développe les capacités d’adaptation à de nouvelles situations, et la thérapie en pleine conscience qui évite les pensées automatiques. » constate Philippe Gorwood, qui dit avoir commencé à les appliquer à l’hôpital Saint-Anne à Paris.
La remédiation cognitive est aussi utilisée au centre ABC de Lausanne. C’est une technique qui fait travailler la flexibilité mentale. Tout comme les personnalités addictives, les personnes atteintes d’anorexie se sont engluées dans un comportement figé, ici le rejet de la nourriture, dont elles n’arrivent plus à se sortir. La remédiation cognitive vise à leur rendre leur capacité d’adaptation par la pratique d’une gymnastique mentale, afin qu’elles puissent in fine considérer la nourriture comme un plaisir.
Quant à la thérapie de pleine conscience, qui devrait bientôt faire son entrée au centre ABC, elle repose sur la notion d’ « ici et maintenant ». « La thérapie aide la patiente à prendre conscience du présent : elle est juste face à un plat et elle accepte de le manger, sans se laisser envahir par des pensées intrusives automatiques et négatives. » explique Philip Gorwood. Mais « il est plus difficile de traiter les envies que les peurs » tempère Laurent Holzer, qui ajoute : « l’envie de maigrir et la peur de grossir sont les deux facettes d’une même médaille. En mettant l’accent sur l’envie compulsive de maigrir, cette étude qui représente certes une avancée, ne dit pas encore comment la faire passer. »
Pour cela, il faudra conduire d’autres études qui démontrent l’efficacité des nouvelles thérapies. Affaire à suivre donc.
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Mots clés : anorexie,addiction,maigrir
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