Le voyage d'EvaJe viens de quitter une femme qui écoute Beethoven.
« Je suis au paradis » me dira-t-elle.
Je la laisse donc avec ce grand maître et continue mon chemin.
Mon regard se pose alors à l'intérieur d'une chambre dont la porte est restée ouverte.
Il y a Gabrielle, une bénévole qui me fait signe d'entrer.
Tout en me chuchotant que c'est bientôt la fin, elle lui tient délicatement la main, son regard est rempli de tendresse pour cette femme qu'elle accompagne depuis plusieurs semaines.
Elle me sourit à son tour et m'invite à la rejoindre dans ce temps suspendu.
Cette femme c’est Eva, c’est la première fois que je la vois. Elle est allongée sur son lit, un drap blanc tiré à quatre épingles l'a recouvre presque entièrement, presque trop.
Il y a juste un de ses bras et son visage qui sont découverts. Son teint est légèrement rosé, ses yeux sont fermés, ses cheveux sont couleur d’argent et tombent en cascade sur un grand oreiller qui relève un peu sa tête. Son bras potelé semble lourd, seul son visage et sa poitrine bougent au rythme de son inspiration de plus en plus longue à revenir.
Je lui parle d'oiseaux qui s'envolent, ils sont tous légers et joyeux.
Je l'invite à se laisser aller comme ses magnifiques oiseaux qui volent de plus en plus haut.Dans mon sac à malice, une musique douce et discrète nous emporte avec elle.
Puis, je sens que c'est bien de laisser Gabrielle seule avec Eva. C'est un temps si intime que je préfère m'éclipser sur la pointe des pieds et propose de revenir plus tard.
Pendant ce temps, je vais à la rencontre d'autres personnes en soins palliatifs, certains sont en famille ou seuls, d'autres sont endormis ou simplement assoupis.
C'est à chaque fois, une joie profonde de les rencontrer pour les apaiser, les faire rêver ou juste leur sourire et repartir tout aussitôt parce que cela leur suffit.
C'est toujours avec étonnement et émerveillement de voir à quel point, souvent, ils se saisissent de la féerie, de l'ailleurs avec facilité.
Les oiseaux et papillons que je leur offre deviennent immédiatement, sans aucun doute, réels.
Ils les cajolent, les baptisent, leurs parlent. Les conventions n'ont pas de place ici, à cet instant précis. Le tutoiement et l'intime en un regard, un mot, une présence, deviennent les deux acteurs principaux sans aucun sourcillement ou incertitude.
Une heure s'est écoulée, je croise une infirmière qui me propose d'aller au côté d'une personne qui est en train de partir. Quand je rentre dans la chambre, Gabrielle est déjà présente.
Je décide alors de retourner voir Eva. Cette fois-ci, la porte est fermée.
Je m'assieds à ses côtés et lui prend la main. Elle n’a pas de réaction. Le bout de ses doigts est un peu blanchâtre mais pas froid . Je lui dis juste que c'est Vénus et que je suis venue tout à l'heure avec les oiseaux qui s'envolaient avec elle, puis, je laisse la musique raconter le reste.
Une main dans la sienne et l'autre lui caressant Le bras, je l'accompagne jusqu''à son dernier souffle.Elle n'a pas l'air de souffrir, ces yeux sont fermés, sa bouche entrouverte, sa respiration de moins en moins présente, elle part petit à petit.
Je ne la quitte pas et reste avec elle jusqu'au bout. Je me sens tranquille et entièrement présente, avec elle.
Je sens toute l’importance de ce moment de fin de vie. Je me sens presque privilégiée de pouvoir être là, à ses côtés, cette femme que je ne connais pas mais pour qui j’ai plein d’amour, et de douceur. Je ne sais pas si elle ressent ma présence et, si elle entend la douce musique jouer pour elle…Quant à moi, je suis très touchée de vivre cette première expérience d’accompagnement et d’être à ses côtés pour son passage.
Tout en continuant à lui caresser le bras, je sens qu'elle s'en va. Sa respiration est à peine perceptible, dans un souffle léger, ces sourcils se froncent puis se détendent à nouveau. Je sens dans mes mains qui sont en contact avec elle, qu’elle est train de partir, qu’elle s’en va. C’est une sensation très nette, physique.
Quelque chose quitte le corps au moment où la vie s’arrête. Serait-ce l’âme?
Je reste encore quelques instants avec elle avant d'avertir l'infirmière qu'Eva s'en est allée tout en douceur.
Je suis émue et heureuse pour elle qu'elle ne soit pas partie seule.
© Carole BERNARD
reproduction intégrale interdite, tout extrait doit citer mon site www.theraneo.com/carolebernard
Mots clés : mort,voyage,magie
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