Chapitre 2 La foi est l’une des dimensions les plus importantes de la vie intérieure. Je ne parle pas de la foi telle qu’on l’entend à propos des religions monothéistes, c’est-à-dire la croyance en Dieu sans preuve de son existence, mais de cette foi, que l’on pourrait qualifier de confiance, sans laquelle on ne peut pas avancer, progresser dans la vie. Les spiritualités orientales utilisent d’ailleurs indifféremment les mots de foi et de confiance pour parler de cet état d’être.
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Sans une foi-confiance préalable dans le maître, on ne peut pas intégrer ses enseignements. La raison en est simple : si nous n’avons pas foi que ce que nous allons étudier va nous être profitable, nous ne l’étudierions pas sérieusement. Les enfants connaissent cette vérité et ils l’appliquent spontanément : ils ont foi en leurs parents, ils les croient et apprennent ce qu’ils leur transmettent. Cela vaut aussi bien pour la transmission de la culture et des valeurs que pour tous les autres apprentissages. C’est d’ailleurs ainsi que, comme la plupart d’entre nous, j’ai appris à faire du vélo : mon père derrière moi me maintenait en équilibre, je ne le voyais pas et j’avais peur, je lui ai dit de ne pas me lâcher, il m’a demandé de lui faire confiance. Quelques mètres plus loin, je me suis aperçu que je pédalé tout seul. J’avais réussi à me lancer grâce à la foi-confiance que j’avais en lui.
Il existe évidemment des cas de perversion de la confiance. Nous connaissons tous de mauvais, maîtres, de mauvais parents.
Adultes, nous avons également à faire à des personnes qui abusent de notre confiance ; ce n’est pas pour autant qu’il nous faut l’étouffer. Il est indispensable de développer notre esprit de discernement -j’y reviendrai par la suite- mais il nous faut préserver en nous cette foi-confiance qui est indispensable pour avancer, pour progresser, pour grandir.
Cela est valable dans tous les domaines, y compris la science. Avant de se lancer dans une recherche, le scientifique croit qu’il va trouver quelque chose.
La foi est d’ailleurs tout aussi nécessaire à la motivation de la recherche scientifique qu’à sa réception par le grand public. Bien peu d’individus sont capables de comprendre les démonstrations de la science, mais nous faisons confiance à la communauté scientifique et acceptons comme absolument vraies des théories et des conclusions qui échappent totalement à notre expérience commune. Nous n’avons jamais vu un atome, mais nous croyons que la matière est faite d’atomes parce que la science nous le dit
La foi est donc tout d’abord indispensable pour progresser par la confiance que nous faisons à d’autres individus qui en savent plus que nous (parents, éducateurs, scientifiques, sages), ensuite parce qu’elle nous aide à vivre et à nous développer en nous fiant au monde et à la vie. Nous sommes motivés pour progresser, pour apprendre, pour avancer, pour chercher, pour nous engager, pour créer, parce que nous croyons qu’il y a quelque vérité et quelque bonté dans le monde et dans la vie. Sinon, à quoi bon se lever le matin ?
Cette foi varie selon les individus. Chez certains, le désespoir, la peur, le ressentiment, la colère l’emportent. L’existence devient alors douloureuse. La vie peut se transformer en enfer quand elle est dénuée de confiance. Le monde apparaît hostile, dangereux. La peur remplace la confiance. On n’ose plus pendre un avion de peur qu’il ne s’écrase, on n’ose pas entrer dans une relation amoureuse de peur d’être trahi ou abandonné, on n’ose pas postuler à un emploi de peur que notre candidature ne soit rejetée. Et, au lieu de progresser, on reste paralysés dans notre vie professionnelle, affective et sociale. Notre existence devient impossible si on n’a pas un minimum de confiance. En soi, dans les autres, dans la vie.
Cette foi dans la bonté du monde et dans le caractère positif de la vie est au fondement même de la philosophie stoïcienne que j’ai déjà évoquée.
C’est ce que résume encore une fois Epictète : « Lève les yeux vers les facultés que tu possèdes et, après les avoir contemplées, dis : « donne-moi maintenant, Zeus, les circonstances que tu veux. J’ai l’équipement que tu m’as fourni et les ressources pour me diriger à travers ce qui arrive ». Non, mais vous restez assis à trembler que certaines choses n’arrivent et, lorsque d’autres sont arrivées, à vous plaindre, à pleurer et à vous lamenter ; ensuite vous vous en prenez aux dieux ».
Cette foi-confiance dans la vie se manifeste par une attitude que l’on retrouve sous divers noms dans les sagesses et les grands courants spirituels de l’humanité : l’abandon, la quiétude, le lâcher-prise. Jésus s’adresse à ses disciples, inquiets des aléas de la vie, pour leur recommander , en termes finalement très stoïciens, de s’abandonner à la Providence : « Voyez les corbeaux, ils ne font ni semailles, ni moisson, ils n’ont ni greniers, ni magasins, et Dieu les nourrit. Vous valez tellement plus que les oiseaux ».
Ce thème de l’abandon à la volonté de Dieu et à sa Providence et l’un des leitmotive de la spiritualité chrétienne, mais aussi juive et musulmane.
Sans aller jusqu’à cette mystique de l’abandon de toute volonté, admettons qu’il nous est impossible d’exercer une maîtrise totale sur notre vie : les failles par lesquelles l’impromptu surgit sont imprévisibles. En voulant à tout prix contrôler cette part d’impondérable, nous nous condamnons à vivre dans l’angoisse permanente. Nous ne pouvons pas non plus contrôler autrui : nous devons accepter qu’il nous échappe toujours, y compris quand il s’agit de son conjoint ou de son enfant. Comme l’écrit Khalil Gibran si justement dans Le Prophète : « Vos enfants ne sont pas vos enfants, ils sont les enfants de la vie. » Nous ne pouvons davantage contrôler totalement notre vie professionnelle soumise à tant d’aléas externes, ni nous obstiner à vivre dans l’illusion de stabilités et de sécurité.
Alors, faisons de notre mieux pour maîtriser ce qui peut l’être, à commencer par nos désirs et nos passions, mais armons-nous psychologiquement à accepter l’imprévu, à nous y adapter et à en tirer le meilleur parti. Les sagesses indiennes utilisent une expression que l’on pourrait traduire par « lâcher prise » pour qualifier cette attitude intérieure d’abandon au réel. Mais on ne peut véritablement lâcher prise que lorsque l’on a confiance en la vie. La première fois que nous sommes amenés à le faire, c’est toujours une épreuve nous avons peur de l’inconnu, nous sommes angoissés. Et puis l’expérience positive du lâcher prise –détente, joie, conscience que rien de grave ne nous est arrivé- augmente la confiance et nous aide à aller encore plus loin dans l’abandon.
Tiré du livre de Frédéric Lenoir : Petit traité de vie intérieure.
chapitre 2 Page 23-28
© Katy LEROUX
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Mots clés : lâcher, prise, confiance,
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