Polymorphe et largement partagée, l'anxiété sévit dans nos sociétés industrialisées et joue à cache-cache avec nos nerfs et notre raison. La débusquer sous ses différents masques nous aide à mieux la combattre.
Avec la précarité et la peur des lendemains qui déchantent, l’anxiété serait-elle en train de devenir le nouveau mal du siècle ? Selon un sondage exclusif Ifop-Psychologies réalisé en octobre dernier,
les Français seraient 40 % à se sentir anxieux ! Et les femmes, déjà accablées par la fameuse charge mentale, sont trois fois plus concernées que les hommes, assure le rapport de mai 2017 du Haut Conseil à l’égalité, surtout si elles sont chefs de famille monoparentales1.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Pour la psychologue gestaltiste Margherita Spagnuolo Lobb2, l’époque est en elle-même anxiogène. Alors que les patients de Freud vivaient dans la culpabilité, la honte et la peur de la sexualité, ce dont soufrent les individus d’aujourd’hui est « l’incapacité tragique » à se forger une identité relationnelle, à savoir qui ils sont socialement, quel est le sens de leur vie, pourquoi ils font des choix et pas d’autres. Et ils vivent cette situation « comme un véritable traumatisme qui se manifeste de plus en plus par cette forme paroxystique de l’anxiété qu’est l’attaque de panique » – où la personne a la sensation de devenir folle, de vivre dans un monde irréel, sans comprendre ce qui lui arrive.
L'anxiété : une entité fourre-toutAvec son caractère brutal, spectaculaire, la crise de panique ne ressemble pas vraiment à l’idée que nous nous faisons de l’anxiété. Lorsque nous pensons à celle-ci, nous songeons plutôt à Woody Allen et à tous ceux qui, comme lui, s’inquiètent de tout, imaginant le pire, au point de paraître horripilants (ou ridicules) : face à une proposition de vacances à Naples, ils pensent à l’éruption du Vésuve ; amoureux, si l’appel de l’aimé tarde, ils sont persuadés que c’est la rupture, trop inquiets pour laisser du temps au temps ; entendant parler de la montée du chômage, ils se voient SDF…
En fait, l’anxiété est une entité clinique fourre-tout regroupant des manifestations qui ne semblent pas appartenir à la même famille : les phobies, quand elles se cristallisent sur un objet précis (l’avion, les araignées, etc.) ; les TOC ou troubles obsessionnels compulsifs, qui se manifestent par des rituels irrationnels (se laver les mains plusieurs fois d’affilée, vérifier sans cesse que la porte ou le gaz sont bien fermés) ; le TAG ou trouble anxieux généralisé, quand il envahit chaque seconde de l’existence. Enfin, les psys qui traitent les rescapés d’accidents, d’attentats ou d’agressions sont aussi confrontés à cette forme particulière d’anxiété qu’est le stress post-traumatique, sensation permanente de danger doublée, la nuit, de cauchemars récurrents. « L’anxiété est donc, simultanément, une pathologie nécessitant un traitement, un tempérament et une façon d’être au monde », définit le psychiatre et psychothérapeute Christophe André3, précisant que, au-delà de son caractère invalidant, elle n’est qu’une exagération de l’état de vigilance extrême, qui a permis et permet encore à notre espèce de survivre aux dangers qui la guettent. Cela explique que tout être humain a éprouvé un jour ce sentiment et qu’il traverse dans sa vie des phases d’anxiété. À partir d’un certain seuil de tension, le système nerveux s’affole.
Une affection gênante…La bouche qui s’assèche, la gorge qui se serre, le cœur qui s’emballe jusqu’à donner parfois l’impression qu’il va lâcher, l’intestin qui se tord et nous plie en deux… Qui n’a jamais ressenti ces sensations pénibles ? Si l’anxiété se forme dans la tête, elle déborde le psychisme et envahit le corps. Selon les psychanalystes, la spasmophilie – attribuée couramment à un déficit en magnésium et s’exprimant par des malaises, des évanouissements – serait une manifestation psychocorporelle de l’anxiété. Même chose pour la fibromyalgie, avec ses douleurs diffuses et récurrentes. Quant à l’hypocondrie – la personne se croit en permanence atteinte d’un cancer ou autre maladie grave non diagnostiquée –, elle est tenue par les psys comme une expression de l’angoisse de mort. Dans plusieurs langues, dont celle de Freud, l’allemand, il n’existe qu’un seul terme : Angst, traduit par « angoisse ». En français comme en allemand, l’étymologie renvoie à l’idée d’étranglement, à la gorge qui se serre.
En France, les psychiatres utilisent volontiers le terme d’anxiété, tandis que les psychanalystes lui préfèrent celui d’angoisse. Pour ces derniers, deux formes fondamentales existent : l’angoisse de séparation (ou d’abandon), liée à la détresse originelle du nourrisson incapable de survivre seul ; et l’angoisse de castration, mêlée de culpabilité, liée aux premiers émois sexuels de la vie qui, plus tard, prend la forme de la peur de la mort. La psychanalyse fait résulter l’angoisse (ou l’anxiété) de la sensation de manque : manque de l’autre, peur de manquer, manque de repères, manque de figure rassurante sur qui s’appuyer. Ou même manque de manque – quand on se sent envahi, étouffé.
… qui a aussi ses bons côtésNaît-on anxieux ou le devient-on ? Les prédispositions génétiques et biochimiques qui nous font naître avec un tempérament anxieux sont aujourd’hui parfaitement repérables. Autre facteur de poids : l’environnement. Des parents inquiets transmettront généralement leur vision du monde à leurs enfants même si, dans une fratrie, un frère ou une sœur jouera, en réaction, la carte de l’optimisme. Preuve que l’anxiété, dans une certaine mesure, n’est pas une fatalité. Christophe André rappelle d’ailleurs qu’elle n’est pas si catastrophique : « Les anxieux sont très appréciés professionnellement, avec leur besoin constant de rendre leur travail en temps et en heure, leur souci du détail, leur recherche du toujours mieux. » Une étude de 2016 réalisée par des chercheurs du King’s College de Londres a mis en évidence un lien étroit entre créativité et anxiété. Et c’est logique : à chercher en permanence des solutions pour échapper aux catastrophes qu’ils entrevoient, les anxieux activent leurs neurones du matin au soir.
1. « La santé et l’accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité », rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes, 29 mai 2017.
2. Dans Attaques de panique et postmodernité, sous la direction de Gianni Francesetti (L’Exprimerie).
3. Dans Psychologie de la peur de Christophe André (Odile Jacob, “Poches”).
© Article de Taubes Isabelle,
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Mots clés : anxiété, stress, phobies, formes, expressions
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