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Marianne NYS
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ARTICLES / SEXUALITÉ, SANTÉ SEXUELLE, FERTILITÉ

LE TANTRA POUR DE VRAI C'EST QUOI

article du 31/07/19 10 minutes 324 0
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Le Tantra serait-il devenu un effet de mode, une tendance à laquelle une image erronée lui est attribuée ? Certains le réduisent à une pratique sexuelle en passant complètement à côté de l’essence même de cette tradition spirituelle dont les origines prennent racine au cœur même de l’Hindouisme.

Peut-être, serait-il important de commencer par mentionner que le terme « tantrisme » est étrangé à l’Inde traditionnelle, qu’il n’existe pas dans la langue sanskrite ou langue traditionnelle indienne. Le terme « Tantrisme » serait donc une dénomination purement externe à la réalité indienne que les occidentaux auraient formulée.

Le Tantra et son contexte
Le terme Tantra se rattache à la racine TAN qui signifie « tendre ou étendre ». C’est dans ce principe de continuité que l’on peut associer alors la signification du terme Tantra à un « système », une théorie, une doctrine ou un ouvrage. L’approche tântrika, s’opposant à l’approche vaidika ou « védique », est développée au sein de textes et écritures sacrés datant du Vème siècle après JC.
L’étendue et la variété du phénomène tantrique le rendent peu aisé à définir et à cerner. La rédaction de la littérature tantrique aurait débutée dès les premiers siècles de notre ère et se serait poursuivie jusqu’à nos jours, bien que la datation de ces textes est bien souvent inexistante et leur provenance géographique inconnue.
Malgré une certaine ignorance ou confusion présente au sein de cette masse immense d’information, des sources provenant des courants hindous peuvent nous apporter un éclairage sur la compréhension du développement de ce phénomène tantrique.

La littérature tantrique
Les principaux textes sacrés sont écrits en Sanskrit et sont pour la majorité shivaïtes. Parmi ces textes shivaïtes, on retrouve les tantras Atimarga (la voie extérieure, réservée aux ascètes qui cherchent la libération) et les tantras Mantramârga (la voie des mantras accessible à tous où l’on recherche les pouvoirs surnaturels, les siddhis, ainsi que la libération).

Au sein du Mantramârga, cinq courants sont distingués. Notamment, le Shaivasiddhânta, les tantras dits de courant de droite « dakshina ». Au sein de leurs textes, les âgamas, quatre sections décrivent les règles de vie shivaïtes : la doctrine, le yoga, les rites et le comportement. Une attention particulière est accordée pour les rites puisque seule la pratique rituelle permet à l’adepte de s’acheminer vers le salut. Ici pas de texte sur les divinités terrifiantes, les cultes extatiques et transgressifs, ni sur les rites sexuels ou sacrifices animaux, contrairement aux pratiques rituelles décrites dans les tantras du courant de gauche « Vâma ». On retrouve ici, les tantras de Bhairava, l’aspect redoutable du dieu Shiva, et les shaktitantras voués au culte des différentes formes de la déesse Shakti, se divisant eux-mêmes en tantras du Trika, liés aux trois déesses suprêmes, et ceux du Kâlîkula, voués à des formes de Kâlî.
En plus des textes shivaïtes, on retrouve des textes Vishnouites datant du VIII au XIVe siècle et ayant une position doctrinale proche de l’orthodoxie brahmanique, voués au culte de vishnou. Leur littérature est le Pâncharâtra.

Les traditions, croyances et conceptions tantriques
L’essence métaphysique dans la façon de voir, d’être présent au monde, de penser et vivre tantrique prend ses racines dans une vision où l’interpénétration du divin, son omniprésence se fond au sein même du monde des hommes, du monde manifesté. La vision tantrique, en particulier au sein des traditions shivaïtes non dualistes, est celle d’un univers créé, soutenu et totalement pénétré par l’énergie divine féminine, la shakti, qui est présente également en l’être humain et qui peut alors être captée et utilisée.
Au sein de ces conceptions tantriques, on retrouve le rôle essentiel des mantras, des techniques méditatives et rituelles. En effet, les tântrikas, considérés comme des hyper-ritualistes, donnent une place centrale à leurs pratiques rituelles d’adoration des divinités ou pûja. Les rites consistent en des actions accomplies corporellement par des gestes et des attitudes spécifiques (tels que les mudrâs), toujours accompagnés par des actes de paroles (pouvant être énoncés ou simplement pensés) afin que les pratiques soient vécues et saisies dans leur totalité. La pratique rituelle ou corporelle est toujours sous-tendue ou justifiée par une idéologie ou croyance.
Par exemple, il n’y aurait pas d’union sexuelle ou de yoga sans en connaître le sens ou l’intérêt de réaliser ces actes, tant bien même que la parole énoncée associée n’aurait pas de sens explicite.

Le corps tantrique
L’importance du corps dans le monde des tantras est fondamentale. Les pratiques d’un tântrika sont dîtes somato-psychiques où corps-esprit sont indissociables. Dès les origines, l’Inde a donné une place particulière au corps comme en atteste le yoga. Ce dernier, pratiqué par les tântrikas, se base sur le rôle essentiel de la kundalini, puissance cosmico-divine présente dans le corps. A l’image d’un serpent enroulé au niveau de la base de la colonne vertébrale, cette énergie kundalini apporte la libération au Yogin. En effet, c’est grâce à son mouvement ascendant le long de l’axe vertical que la Kundalini permet à l’individu de vivre cette transcendance. Un texte ancien disait: « il n’y a de libération que pour un être incarné » soulignant alors l’importance du corps dans ces traditions.
Le corps est perçu comme un microcosme et le cosmos comme un macrocosme. Tous deux ne se séparent pas. Vivre en tant que tântrika, c’est vivre dans un univers pleinement pénétré par l’énergie divine où le corps y est immergé. Un corps où les forces surnaturelles et les divinités sont présentes, l’animant et le liant au cosmos. Un corps à la structure et à la vie divino-humaine. Dans les traditions shivaïtes du Kula, des déités habitent le corps et animent les sens. La géographie mystique est alors présente au sein même du corps.

Dans la tradition shivaïte du Trika, le rite de l’initiation Samayadîkshâ est une purification transformante du corps et de l’esprit impliquant notamment des étapes de transcendance du corps visant à diviniser ce dernier. Des stades de fusion de la conscience de l’initié avec la conscience divine et des moments d’adoration du corps identifié à diverses divinités sont également présents. La suspension du souffle respiratoire (suppléée par une montée du Prana), l’utilisation de mantras et la visualisation mentale de l’entière manifestation cosmique, ou tattva, au sein de son corps favorise l’émergence du ressenti de la fusion totale avec l’Absolu. L’initié est pris dans le mouvement infini de l’énergie cosmique divine qui traverse et dépasse infiniment sa nature humaine. Il SE VIT cosmiquement.

C’est à partir de cette base corporelle que la parole, le sexe tantrique, l’ascèse et la spiritualité peuvent alors être abordés. Loin d’une vision où le sexe serait perçu comme un péché, en Inde, l’énergie sexuelle est considérée comme une force qui peut soit être gardée afin de conserver et accroître sa puissance soit être utilisée afin de transcender le soi empirique et de s’affranchir des limites de la vie sur Terre, d’accéder au divin.

Dimension sexuelle et cultes transgressifs
Le principe Kâma est l’accueil et la jouissance de la diversité du monde et de ses plaisirs. Or la vie tantrique n’est pas recherche du plaisir puisque les tântrikas savent qu’il existe un au-delà du plaisir, que celui-ci est une ouverture à autre chose. Ainsi, la pratique sexuelle rituelle est plus qu’une histoire de sexe ou une recherche de jouissance, mais est un moyen d’accéder à la transcendance du soi, au dépassement des limites du soi, d’acquérir une modification des états de conscience, d’acquérir des pouvoirs surnaturels (siddhi) ou encore d’accéder à une fusion totale avec la divinité. Le sexe n’est pas une pulsion à laquelle on cède mais une force que l’on domine.
Toutefois, la place des pratiques sexuelles au sein du Tantra n’est pas aussi importante que l’on pourrait le croire notamment dû fait de la complexité et du caractère transgressif des rites gardés secrets. C’est surtout au sein des traditions shivaïtes non dualistes que l’on trouve cet enseignement spécial, ésotérique, sacral transgressif.
La transgressivité était, pour ces traditions, un trait essentiel qui les définissait par rapport aux autres, car ces pratiques transgressives représentaient notamment le refus de la règle de la dualité (dvaita) du pur et de l’impur (règles orthodoxes brahmaniques). C’était donc, entre autre, une marque expressive du rejet des règles de la société des castes. Transgresser les règles et donc plonger dans l’interdit, permettait au tântrika de se transcender afin d’obtenir les pouvoirs ou le salut en ce monde.
Les cultes transgressifs étaient en lien avec les divinités redoutables, notamment les Yoginîs, qui sont les déesses dîtes féroces et terrifiantes qui représentent des formes personnalisées de la Shakti, des incarnations de l’Énergie divine. En plus des cultes et adorations vouées à ces Yoginîs, leur puissance et esprit pouvait se vivre dans le corps même du tântrika. En effet, par une identification de la conscience individuelle avec celle de la divinité suprême illimitée, le tântrika accédait alors à une dimension surnaturelle lui donnant la possibilité de vivre les siddhis ou pouvoirs surnaturels. Notamment, lors de ces rites sexuels, les partenaires féminines des Yogins incarnaient les Yoginîs permettant au Yogin soit la fusion avec ces déités soit la production de la sécrétion sexuelle, qui était ensuite offerte en oblation à la divinité puis consommer visant l’acquisition d’une transcendance et une divinisation du Moi.
Une forme d’union sexuelle, particulièrement transgressive par ses éléments et son cadre, prescrite par certains textes, doit se faire la nuit dans un lieu de crémation, les partenaires étant assis sur un cadavre. En plus d’un climat particulier extérieur, un état intérieur est recherché afin de renforcer l’exaltation sexuelle et la tension vers l’absolu via des actes rituels accomplis, des mantras énoncés ou encore des représentations mentales des divinités.
Au sein du Tantrâloka, on trouve l’exposé le plus complet concernant un rite sexuel, le Grand sacrifice du Kuka, rite secret « réservé à des maîtres et disciples parvenus au sommet » donc à un tout petit nombre d’initiés. Le pratiquant doit être un être accompli ‘siddha’ ou héros ‘vîra’, maître de sa kundalinî et de ses sens. La partenaire féminine du rite doit avoir des qualités spirituelles du même ordre que le yogin afin que leur union atteigne le but : dominer les énergies divines animant le corps et l’esprit afin d’atteindre l’expérience de l’absolu. C’est la libération et non le plaisir que recherchent les actants du rite. Les deux partenaires doivent d’abord se vénérer mutuellement, éveiller leurs « roues d’énergie », c'est-à-dire leur chakra, afin de créer un état sensorielle et spirituelle. Ils sont censés prendre intensément conscience de leur essence, arriver à un état de félicité vibrant ‘spanda’ où s’unit intensité sensuelle et dépassement de toute sensation. Cette union sexuelle et action corporelle rituelle, du yogin et de sa partenaire, qui les mènent à la fusion en l’absolu est notamment désignée par le terme Mudrâ.
Toutefois, les pratiques transgressives ne sont pas toujours présentes au sein des unions sexuelles rituelles, même shivaïtes. En effet, des cas de coït se font sans éjaculation. Ce n’est donc plus une conquête de puissance ou d’accès à la transcendance mais un usage maîtrisé de la force du sexe. Éviter toute perte séminale, c’est garder sa force. Le yogin atteindra l’intensité de l’orgasme et se sentira uni à la divinité sans rien perdre de sa substance.
En effet, la puissance et la vitalité, du pratiquant masculin, sont puisées chez la femme puisqu’elle représente la force, la shakti. Elle détient donc la puissance que l’homme peut puiser en elle. La femme est donc source puissante, mère protectrice mais potentiellement redoutable et dangereuse si l’homme laisse échapper ses sécrétions, sa force.

Conclusion
Ainsi la vision occidentale et américaine Tantrique d’une recherche de plaisir des sens et du sexe, du culte du corps et de l’argent paraît bien éloignée des enseignements indiens traditionnels. En effet, les nombreux mouvements ou centres tantriques qui fleurissent de nos jours ne reflètent qu’une appropriation sélective d’éléments indiens. C’est tel un tantrisme vu à l’occidentale, c’est-à-dire en fonction de nos besoins. Le bricolage spirituel de l’adepte occidental écarte donc la vision théo-anthropocosmique du monde et de l’être humain, c'est-à-dire d’une vision globale de l’univers sentie comme lieu de forces à la fois divines et humaines, transcendantes, immanentes et incarnées. C’est également écarter les théologies, panthéons et rituels que constitue la base ou fondement de la vision d’un trântrika véritable.

Sources:
Comprendre le tantrisme d'André Padoux
Yoni Shakti d'Uma Dinsmore-Tuli
La lumière sur les tantras de Lilian Silbum et André Padoux
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Mots clés : tandra

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