Nous avons glissé dans le fleuri mois d'avril.
Dans cette région, le mois d'avril révèle la splendeur de ses couleurs. Orchidées, cardamines, tussilages, euphorbes fleurissent et garnissent en un rien de temps les talus. Nos narines attrapent, au hasard de quelques bises, des effluves aux senteurs provençales : thym, romarin, l'odeur du buis si caractéristique des failles calcaires. Les iris blancs, violets déploient le port de leurs élégantes allures. La garrigue embaume, les sentiers aussi.
Hier, nous avons fait une petite marche entre amies. Nous sommes parties sur les traces de vestiges anciens, d'anciens thermes, l'oppidum de St Vincent, et l'espoir de glaner quelques asperges sauvages.
La terre est très sèche en ce début de printemps. Si l'hiver a été gris et froid, les chutes d'eau sont restées faibles. Les pluies printanières profitent à la végétation. Ce sont celles de l'automne qui remplissent nos nappes phréatiques. Elles tardent à se réalimenter.
La cueillette nous permettra de nous régaler de ces mets discrets. Les asperges sauvages demandent d'affûter le regard dans les taillis épais pour distinguer de ci, de là, quelques belles têtes de cette délicieuse gourmandise sauvage si généreusement offerte par dame nature.
Qu'elle en soit remerciée. Rien ne nous est dû.
J'observe cette amie qui trouve qu'elles ne sont pas assez nombreuses sur le chemin. La deuxième nous invite à en laisser pour les suivants. Ce que nous avons fait en laissant les asperges rendues inaccessibles par la densité du sous-bois ou par l'absence de passage. Comme si celui-ci ne donnait pas l'autorisation de passer. Pour ma part, je me sens juste pleine de gratitude pour ces quelques tiges vertes comestibles qui nous attendaient au bord du chemin. Toujours cette différence de perception d'une même situation, entre celles et ceux qui voient le verre à moitié vide ou plein. Je souris.
Au passage, je montre comment couper la tige avec délicatesse, respect par une pression douce entre les ongles, à l'endroit où la tige permet cette section, comme si c'était elle qui donnait le tempo.
Après tout, cette plante est un organisme vivant et cela devrait inciter nos gestes à plus de respect, même lorsque nous arrachons quelques herbes que nous jugeons mauvaises.
Même si elles nous dérangent plus qu'elles ne sont mauvaises, elles n'en demeurent pas moins vivantes.
J'y pense systématiquement, lorsque je glane en cueillette sauvage et, de plus en plus régulièrement, lorsque je désherbe ma cour ou mon escalier à la main, petites touffes, par petites touffes.
Malgré cet environnement sec, les arbres des bosquets se rhabillent de leurs beaux feuillages verts. Chacun y va de sa teinte, de sa nuance, chacun se distingue par la forme de son feuillage, par la couleur et les dessins de son écorce, par sa silhouette.
Je suis toujours émerveillée de l'éclosion des jeunes feuilles. Elles s'extirpent fripées des bourgeons dans lesquelles elles étaient enfermées, en préparation, en gestation. Je ne parle même pas de l'explosion des fleurs des fruitiers.
Le thermomètre frise les 26 degrés, étonnant pour ce deuxième jour d'avril. Je cherche déjà l'ombre dans ce pays à l'énergie feu si présente.
Le printemps appelle à s'étirer, à se déployer dans nos verticalités.
C'est cette poussée ascendante qui le caractérise indépendamment de cette explosion de verts, de couleurs, senteurs, de chants d'oiseaux.
L'activité des animaux domestiques se tourne elle aussi vers l'extérieur.
Les colocataires félins commencent à découcher à l'appel de ces nuits plus douces. L'appel du grand air, de la chasse aux souris, criquets, lézards et parfois malheureusement à celle de quelques oiseaux. Ainsi va la vie.
Lâcher-prise, accueillir les émotions que cela suscite en soi, et lâcher notre volonté de contrôler les lois du vivant et de la nature.
Un exercice de style qui n'est pas toujours facile que celui de se délester de cette part de nous volontaire, qui veut changer l'autre, le monde, le cours des choses. Apprendre à apaiser, détendre, rassurer cette part qui veut aider, sauver là, où il s'agit d'abord de se changer soi ce qui changera alors naturellement le monde et la relation entre toutes les formes de vies. Les lois du vivant demeurent, comme la vie et la mort, inéluctables.
Sur chaque continent, dans chaque culture, la vie est marquée par ces cycles naturels, ici saisons comme le printemps, l'automne, l'hiver, été, marées, ailleurs, comme la saison des pluies, la saison sèches, les moussons, etc.
Où que nous soyons, nos propres horloges biologiques s'inscrivent dans la continuité de ces lois naturelles. Pourtant, très souvent, pour la plupart d'entre nous, peu de choses changeront d'une saison à l'autre.
Se mettre à l'écoute de ces rythmes, réajuster nos horloges biologiques, nos attitudes, nos activités, notre alimentation à cette dynamique universelle contribue à nous reconnecter à ces grands cycles naturels.
Nos modes de vies pourraient tenter de nous faire croire que notre espèce peut s'en couper, vivre déconnectée de cela. Elle le fait en effet, mais peut-on appeler cela la Vie si nous sommes en nous-même coupés de celle-ci, de sa dynamique, de ces rythmes, de ces cycles, de ces lois ?
Invitons-nous à ajuster, autant que possible, nos rythmes, activités, notre alimentation aux rythmes et à la dynamique des saisons.
C'est sans doute la plus sûre façon de ne pas creuser davantage ce fossé qui se creuse chaque jour davantage entre la Vie et nous.
Car, au final, à force de survivre plutôt que de vivre, nous creusons nous-même ce fossé qui pourrait bien devenir notre tombe d'une mort annoncée, celle d'une humanité déconnectée, de l'essentiel, en perte de sens et de repères.
Renouons avec l'essentiel et les grandes lois du vivant.
J'aime à croire qu'elles ont leur raison d'être et que toutes les espèces les ont en commun. Quand nous perdons le fil, ralentissons, posons-nous et observons ce qui se passe dans la nature. Elle demeure un exemple patient, inspirant, bienveillant de cette intelligence qu'est la vie et de ses grandes lois universelles. Nous nous déconnectons parfois, souvent. N'est-ce pas grâce à la nature que nous retrouvons le sens de l'essentiel, la paix et la sagesse ? N'est-ce pas pour cela que nous aimons nous y ressourcer ?
Se souvenir que nous faisons partis de cette nature, de ces grandes lois du vivant, de ces cycles immuables est un garde-fou précieux à la folie de notre monde déconnecté et ce même si j'aime à penser que cette déconnexion a sa raison d'être comme chaque chose. Elle est sans doute là pour que nous en prenions conscience et œuvrions à notre reconnexion au vivant en nous, la plus sûre façon, à mon sens de vivre en harmonie avec le vivant qui nous entoure, toutes formes confondues.
Je nous souhaite un printemps dans la conscience et dans l'harmonie de l'énergie printanière.
Lignes soufflées par la vie le 3 avril 2021.
© Pascale SÉGURA
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Mots clés : printemps, harmonie, nature, pascale, ségura
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